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Albums posthumes : une arme à double tranchant

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Crédit photo : Cover de l'album de Népal Adios Bahamas

L’album posthume est devenu depuis quelques années une pratique très courante de l’industrie musicale. De nombreux auditeurs ont eu l’occasion d’écouter les derniers projets musicaux enregistrés par leurs défunts artistes préférés. On peut se référer à Xscape (2014), dernier projet du king de la pop Michael Jackson, décédé en 2011, ou encore à l’album au titre éponyme du roi de la variété française Johnny Hallyday (en 2019), qui s’est éteint en 2017. 

Dans un premier temps, cette pratique sert à faire passer un dernier message d’adieu de la part des artistes à leurs fans en deuil, de façon à faire perdurer leur héritage musical. On peut le constater dans le milieu du rap avec de nombreux rappeurs partis trop tôt ces 5 dernières années. certains rappeurs étaient à leur apogée, d’autres étaient sur le point de l’atteindre, et certains venaient à peine d’éclore avec un potentiel grandissant (“Pourquoi vous avez tué Pop Smoke ?” disait l’influenceur Oh Mon Dieu Salva!). Mais ce phénomène peut, dans certains cas, être perçu comme une mauvaise stratégie marketing, orchestré par l’entourage de l’artiste, qui clôt sa discographie sur une mauvaise note. Une stratégie qui peut même aller jusqu’à puiser dans les moindres traces laissées par l’artiste qui pouvaient  parfois ne pas être de l’ordre de la musique. 

Afin de mieux expliquer les bienfaits et les travers de l’album posthume (et ce qui l’entoure), nous allons nous focaliser sur la musique rap, un milieu qui a perdu beaucoup d’étoiles montantes ces dernières années. 

Mac Miller, Népal : une sortie par la grande porte

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Crédit photo : Cover de l'album de Mac Miller Circles 

Existe-t-il une bonne façon de terminer sa carrière musicale lorsque l’on est déjà dans l’au-delà ? Bien évidemment que non car chaque artiste possède sa propre identité et ses propres choix artistiques. En tout cas, certains artistes ont eu le droit à une sortie par la grande porte en se contentant d’un ultime projet en guise de message d’adieu afin de montrer, une dernière fois, l’étendue de leur potentiel. 

Mac Miller en est l’exemple parfait. Décédé d’une overdose en 2018, le rappeur originaire de Pittsburgh, aux Etats-Unis, laisse derrière lui une longue discographie très éclectique en terme de style musical : rap, soul, funk, jazz. Malcolm McCormick (de son vrai nom) tenait à montrer sa polyvalence à tous les niveaux de sa musique (il pratiquait de la guitare, de la batterie, du piano et du chant), tout en partageant ses aventures sous drogue et son combat contre cette dernière (qu’il n’a malheureusement pas remporté). Un mois avant son décès était paru son album Swimming dans lequel il se confiait sur son amour-propre, sa rupture avec la chanteuse Ariana Grande, ses pensées morbides. Cet album, sorti le même jour que le dernier album de Travis Scott Astroworld qui a été un succès phénoménal, n’a pas reçu l’accueil escompté, malgré d’assez bons chiffres de ventes. Son décès a par la suite suscité un rebond conséquent au niveau des ventes de son album, en ameutant les fans inconditionnels de “Miller Mac” ainsi que des auditeurs curieux qui se sont intéressés à sa musique après sa mort. 

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car Malcolm avait préparé un album complémentaire à Swimming, Circles (qui aurait donné Swimming in Circles) avant de décéder. N’ayant pas pu le faire de son vivant, son entourage a publié un ultime message sur le compte Instagram de Mac Miller en respectant sa demande de sortir cet album. Son dernier album a donc vu le jour un an et demi plus tard,  le 17 janvier 2020, et a été encensé par la critique. Un dernier album qui se veut plus pop bcp plus musical et chanté, qui montre encore une fois que Mac Miller avait une maîtrise totale de la musique. 

Un autre exemple dont on pourrait parler dans le rap français est celui de Népal, aka le Grand Master Splinter ou encore KLM (nom de producteur), celui qui disait n’avoir “rien de spécial”, et qui pourtant avait un univers très spécial. Resté toute sa carrière dans l’anonymat, Népal s’est éteint à 29 ans, le 9 novembre 2019, dans des circonstances qui restent toujours aussi floues. Il n’avait à son actif que quelques EP, dont le plus mémorable, 444 Nuits dans lequel on retrouve le son “Rien de Spécial”, mais aussi “Suga Suga” enregistré avec le rappeur Doums, avec qui il formait le duo 2Fingz.

Mais avant de disparaître brutalement, Népal préparait la sortie de son tout premier album Adios Bahamas, qui est sorti à titre posthume le 10 janvier 2020. A l’instar de Mac Miller, l’entourage de KLM s’est occupé de promouvoir la sortie de l’album en respectant les dernières volontés du rappeur ainsi que sa vision artistique. On peut noter la belle attention de la part de son entourage de s’être présenté entièrement masqué sur le plateau de l’émission Clique pour parler de son album. 

Lil Peep : une exploitation musicale post-mortem abusive 

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Crédit photo : Cover du projet de Lil Peep Hellboy, photographie de Miller Rodriguez

Les deux précédents cas montrent l’importance de l’entourage (famille, amis, label,...) aussi bien dans la vie d’un artiste qu’après sa mort. Le respect des dernières volontés est important pour ne pas troubler la cohérence artistique de ce dernier.

Le défunt rappeur de 21 ans Lil Peep, décédé en 2017 d’une overdose, en fait toujours les frais. De son vrai nom Gustav Elijah Åhr, ce jeune rappeur natif de la Pennsylvanie était connu pour faire de l’Emo Rap considéré comme du rap émotionnel, parlant souvent de dépression, de solitude, de toxicomanie ou encore de suicide. De son vivant, Lil Peep n’a pas pu réellement marquer le rap US de son empreinte malgré une identité musicale bien à lui. Excepté quelques singles à son actif, le seul réel projet sorti était Come Over When You’re Sober Pt.1, un EP de 7 titres qui devait se compléter avec une partie 2 de 13 titres qui sortira un an après sa mort, permettant de plonger plus profondément dans son univers sombre. 

Mais son entourage ne s’est pas arrêté là et a sorti un nouvel album en 2019, Everybody’s Everything, et deux EP, dont un sorti il y a un peu plus d’un mois, Vertigo. Bien que la communauté de Lil Peep reste très présente et que ses projets continuent d’être très visibles en terme de streams sur les plateformes, son dernier album aurait pu sortir sous le statut d’une mixtape, avec des sons qui rappellent les débuts du rappeur incohérents avec le reste de l’album. De plus, Lil Peep continue de faire parler de lui via son entourage qui tient encore actuellement son compte Instagram de façon quotidienne, ce qui paraît assez glauque, comme s’il continuait de vivre. 

XXXTentacion : L’exploitation à son paroxysme

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Crédit photo : XXXTentacion / Getty Images

Mais l’histoire de Lil Peep est loin d’être la plus dérangeante en terme d’album et de marketing posthume. Il est important dans ce cas de parler du défunt rappeur aux multiples facettes Jahseh Dwayne Onfroy aka XXXTentacion, décédé de multiples blessures par balle dans sa voiture lors d’une fusillade en 2018. A seulement 20 ans, X avait déjà pleinement posé sa patte dans le milieu du rap US, en se faisant repérer avec son single agressif au son brut Look At Me!, ou encore son album 17, sur lequel on le retrouve adouci, se confiant sur sa dépression, sa solitude ou encore sur le suicide d’une de ses amies durant son séjour en prison (Jocelyn Flores). Mais son talent s’est réellement révélé avec son second album "?", un album dans lequel il montre sa capacité à rapper ou chanter sur tous types d’instrus, y compris sur du reggaeton. Cet album a fait l’unanimité et promettait à ce jeune rappeur une carrière pleine de succès. Un succès qu’il n’a pu savourer que peu de temps. 

10 jours après sa mort, le clip officiel de sa musique la plus connue "SAD", a été postée sur Youtube. On y observe un Jahseh qui se présente à ses propres funérailles et qui se bat contre son ancien lui, ou plus précisément contre ses vieux démons, pour montrer son évolution en tant que personne. Une vidéo aussi impressionnante que glaçante par son timing. Enfin en décembre 2018 sort son premier album posthume Skins qui vient clore la trilogie qu’il avait commencé avec 17, un album assez court composé de 10 titres mais moins impressionnant que les deux premiers.

Cependant le pire reste à venir en terme d’exploitation avec la version deluxe de ? sortie en septembre 2019. Cette édition empeste l’envie inarrêtable de profit post-mortem de la part de son entourage, dont le but est clairement d’appâter les fans inconditionnels de X pour faire tourner ce commerce morbide. L’album original est complété par un second CD contenant les instrumentales de chaque morceau, mais également un troisième album dans lequel on peut retrouver les sons de son EP spécial pour Noël 2017, A Ghetto Christmas Carol (qui était déjà disponible sur toutes les plateformes, ce qui n’a donc aucun sens) et 8 extraits sonores du rappeur durant son processus d’élaboration de son album. 

Mais comme dirait Stromae dans sa chanson Alors on danse, “et si tu penses que c’est fini, et bah il y en a encore”. En effet, la mère du défunt, Cleopatra Bernard, a poussé ce commerce macabre à un autre niveau en ouvrant un musée éphémère en hommage à son fils, dans lequel il était possible d’observer la voiture dans laquelle XXXTentacion a été retrouvé assasiné. Un commerce qui n’en finit plus avec la sortie de son dernier projet Bad Vibes Forever en décembre 2019, censé conclure une quadrilogie commencé avec l’album 17

Que faut-il donc retenir des albums posthumes ? Leur réussite et leur qualité relèvent avant tout de l’artiste lui-même s’il a été en mesure de bien travailler sur l’aspect qualitatif et artistique de son projet avant de s’en aller. Mais il lui faut également l’aide d’un entourage travaillant dans le respect de sa vision musicale et de ses dernières volontés, plutôt que d’être orienté vers l’argent comme seul but. 

J.P.

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