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Les nouveaux maitres de l'horreur

Ari Aster

Hérédité : The devil inside me

Nous vivons dans une époque où le cinéma d’horreur peine à se renouveler et où les productions horrifiques multiplient les suites (American Nightmare, Annabelle, Conjuring,...), les remakes ( Invisible Man, Evil dead, Poltergeist,...) ou autres spin off de façon parfois indigeste.

Heureusement, plusieurs jeunes auteurs se distinguent et renouvellent le genre. Scalpel, bistouri, pince, ciseau et tronçonneuse,...dissection de cette nouvelle génération.

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Crédit photo : IMDB

Dans la standardisation du cinéma outre-atlantique, une société de production américaine sort du lot, son nom: A24 . Elle a été fondée en 2012 par Daniel Katz, David Fenkel et John Hodges.

Elle y compte de jolis succès,parmi lesquels : l’Oscarisé Moonlight de Barry Jenkins, le Spring Breakers barré et sous acide d’Harmony Korine ou encore plus récemment le très « Scorsesien » Uncut Gems des frères Safdie.

A24 a pour but de retourner à un cinéma plus classique,  proche du cinéma d’auteur, un cinéma ayant pour vocation de raconter , d'amener son spectateur à la réflexion, tout en réussissant à donner la plus grande des libertés créatives à ses auteurs et réalisateurs qu’une industrie formatée ne pourrait leur offrir.

 

Juin 2018.

Alors que la France entière se prépare à regarder la Coupe du Monde, un film américain produit par A24 arrive discrètement dans les salles obscures, la faute à une campagne marketing très pauvre dans l’Hexagone, malgré ses 202 copies. Hérédité a été présenté quelques mois auparavant, en janvier au festival de Sundance en séance de minuit où il y fit son petit buzz et où il reçut un accueil assez favorable auprès des festivaliers.

 

Il s’agit du premier film d’Ari Aster, jeune cinéaste new yorkais de 31 ans ayant fait ses armes à l’American Film Institute et ayant réalisé plusieurs courts métrages (7 précisément) depuis 2011 dont The Strange Thing About the Johnsons qui posera les bases de son cinéma en narrant les incestes répétés d’un fils sur son père dans le décor d’une maison si impeccable qu’elle en devient effrayante.

 

Hérédité raconte l’histoire de la famille Graham. Une petite famille américaine, parfaite en apparence avec ses deux enfants, son chien, vivant dans une maison très spacieuse, souvent filmée en plans larges donnant l’impression qu’un calme absolu y règne.

Pourtant le spectateur va rapidement réaliser que les choses ne tournent pas aussi rond qu’elles en ont l’air . Chaque membre de la famille essaye de tout faire pour paraître normal. En réalité, cette  famille possède tous les attributs de la famille dysfonctionnelle.

 

L’histoire prend place quand Ellen, la grand-mère de la famille Graham, décède.  Sa fille, Annie, retourne habiter dans la grande demeure familiale avec son mari Steve et leurs deux enfants,Peter et Charlie.

 

Mais, la vie de ces quatre personnes apparemment paisible est perturbée par des phénomènes étranges et inquiétants qui vont s'amplifier après la mort tragique de Charlie. Les Graham vont alors faire face à de terrifiants secrets liés à l'entourage d’Ellen.

 

Aster explique à propos de son premier film que l’idée de départ lui est venue après un décès dans sa propre famille provoquant une série de terribles épreuves pendant trois ans. Il pensait même que sa famille était victime d’une malédiction.  Il le dira même au cours d’une interview: « j'ai imaginé une famille littéralement victime d'une malédiction, ce qui m'a permis de sublimer les émotions traversées par mes proches dans un film d'horreur. Autant dire que le genre possède une grande force cathartique. Et quand on veut réaliser un film rappelant à quel point la vie est injuste, l'horreur s'y prête à merveille. C'est une forme d'espace perverti où les injustices de l'existence sont mises en exergue et deviennent même jubilatoires. »

Au cours de sa pré-production, deux films viendront grandement l’influencer dans son processus créatif: Rosemary’s Baby de Roman Polanski et Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg pour leur coté: «élégants et axés sur la psychologie des personnages qui savaient prendre leur temps » comme le souligne Aster.


 

Ce métrage est très intéressant par la maîtrise dans la réalisation et dans la mise en scène d’Aster . Les mouvements de caméra sont très lents et mettent en marche forcée un trajet contemplatif jusqu’au malaise.

Par exemple le carton sur lequel s’ouvre le film est en réalité le faire-part d’invitation aux obsèques d’Ellen ou encore la très belle séquence d’ouverture passant d’une embrasure de fenêtre à l’intérieur d’un atelier, en zoomant sur une maquette qui deviendra le cadre à nouvelle échelle d’une pièce réelle. Ce motif de modélisme quasi obsessionnelle alimente avec beaucoup d’intelligence la figure maternelle,à la fois scrutatrice dévorante de l’espace qu’elle vampirise silencieusement.

 

Concernant l’esthétique, tout se joue dans la retenue, grâce à la formidable photo de Pawel Pogorzelski, légèrement laiteuse et grisée, jouant avec l’obscurité d’une demeure labyrinthique à des contrepoints en plein jour. Coté scénario, c’est avec les personnages que tout se joue, dans ce cocon toxique qu’est la famille, aucun membre ne parvient à susciter une empathie totale. Bien au contraire, c’est une absence omniprésente de solidarité entre eux qui rend les enjeux de la destruction plus ambivalent. 

 

Dans son cinéma Aster utilise très souvent des situations perverses où le spectateur se retrouve face à un monde sclérosé où les protagonistes n’évoluent jamais mais où la descente aux enfers est toujours inévitable. Avec son premier long métrage Aster introduit (ou plutôt réintroduit si on compte certains de ses courts) trois  thématiques qui lui sont chères : La famille, le deuil et le culte païen.

 

Trois thématiques qu’il reprendra et qu’il accentuera aussi dans son second long métrage: Midsommar sortie à l’été 2020 dans les salles françaises. Hérédité signe donc la naissance d’un nouveau maître de l’horreur et d’un très grand réalisateur. Avec deux films réussis, il parvient  à s’imposer dans un genre qui depuis quelques années n’arrivait pas à se renouveler .

 

Aster renouvelle le genre mais aussi le sublime , offrant de nouvelles histoires et de nouvelles expériences plus oppressantes les une que les autres. Nul doute à avoir qu’Aster est un réalisateur qui comptera dans la décennie à venir.

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R.F

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